Ce compte-rendu a été rédigé sur les bases des quelques notes que j'ai pu prendre lors de la réunion du lundi 27 septembre avec l'ANAES.
Je ne peux certifier totalement l'exactitude des faits et des propos. Une partie des éléments ici présentés le sont de mémoire.
Si beaucoup de rumeurs et d'angoisses ont circulé autour de cette réunion, la réalité des faits s'est avérée sincèrement plus constructive et sereine.
Les représentants de neuf associations et cinq personnes de l'ANAES suivant le dossier étaient autour de la table.
Pour les associations:
Alexandra Augst-Merelle - STS 67 à Strasbourg,
Morgane Bichard-Breaud - Trans'Act! à Montpellier,
Camille Cabral - PASTT à Paris,
Diane Gobeil - Cabiria à Lyon,
Hélène Hazera - Act Up à Paris,
Armand Hotimsky - CARITIG à Paris,
Yann Laingui - ASB à Paris,
Valérie Soyer - Autres Regards à Marseille,
Tom Reucher - GAT à Paris.
Pour l'ANAES:
Dr Sun Hae Lee-Robin,
Dr Denis Jean David,
Dr Valérie Lindecker,
Dr Françoise Saint-Pierre
et Madame Colette Perreve.
Un tour de table a permis à tout le monde de se présenter. Puis après un petit instant d'hésitation pour que chacun puisse trouver le moyen de commencer à entamer la discussion, celle-ci démarre avec l'intervention un peu sèche de Tom Reucher. Celui-ci lit un texte: «Réunis lors de l'Assemblée Générale des Trans où une trentaine de personnes s'était rendue ainsi que les associations ASB, Trans'Aide Lorraine fraichement créée, Act Up, GAT et PASTT, il a été voté à l'unanimité une résolution pour la dépsychiatrisation des trans.»
Il cite la résolution:
1 - L'Assemblée Générale demande la dépsychiatrisation de la question trans’.
2 - L'Assemblée Générale demande aux associations, groupes et organisations trans' présents le 27 septembre à l'ANAES de proposer collectivement un accès aux soins sans diagnostic psychiatrique préalable.
3 - L'Assemblée Générale demande le changement du numéro de sécurité sociale et du prénom sans acte chirurgical préalable.
Sur ce dernier point, Camille Cabral rebondit en demandant que le changement d'état civil soit possible pour les personnes qui ne souhaitent pas se faire opérer.
Les représentants de l'ANAES rappellent que sortent complètement de leur compétence les aspects juridiques et la question des remboursements. Ils expliquent leur souhait de définir des conditions optimales pour assurer la sécurité des patients et l'efficacité des soins. Ils précisent également qu'à partir du 1er janvier 2005 l'ANAES disparaîtra, et sera remplacé par la Haute Autorité de la Santé.
Une personne demande quel est le niveau d'indépendance de l'ANAES, avec les autres institutions de l'état car un psychiatre de l'Hôpital Foch s'occupant des trans et peu apprécié par un grand nombre vient d'été nommé membre d'un groupe de travail interministériel santé-justice.
La réponse est claire: L'ANAES est sous la tutelle administrative du Ministère de la Santé, mais indépendante.
Hélène Hazera qui représente la commission trans d'Act Up rentre dans le vif du sujet avec justesse, puis Tom Reucher développe sur les menaces et pressions que subissent en particulier certains médecins dans le privé.
Il lui est répondu que le travail de l'ANAES sera utile pour les caisses d'assurance maladie afin qu'elles prennent en charge les patients de manière optimale. Il est nécessaire que la situation soit clarifiée - Sur ce point, tout le monde est bien d'accord!
Morgane Bichard-Bréaud porte à la connaissance de tous l'expérience toulousaine, les procès et tensions avec les médecins en place, une éventuelle interdiction d'opérer les trans pour un chirurgien et la prise en charge par la Caisse des rectifications (voire même des opérations) en Suisse, donc hors de la Communauté Européenne.
Elle présente des photos de résultats opératoires déplorables, Yann Laingui fait de même. Les photos font le tour de la pièce.
La discussion se porte ensuite sur la question du ou des «choix». Plusieurs associatifs s'expriment à propos de la revendication sur la liberté pour le patient de choisir les professionnels et le type de traitement qu'il souhaite recevoir.. Hélène Hazera s'énerve un peu, et Diane Gobeil prend la parole pour décrire la situation à Lyon.
Lors de la discussion qui s'en suit, le mot “choix” est à nouveau utilisé par l'un des représentants de l'ANAES. Cette fois-ci pour exprimer l'idée que les transsexuels ont choisi d'être trans, aussi plusieurs représentants associatifs dont Camille Cabral précisent qu'il ne s'agit nullement d'un choix. J'interviens à mon tour pour rappeler que le choix des mots est lourd de conséquence.
Suite à la revendication d'une dépsychiatrisation des soins, l'ANAES demande des précisions sur ce que les responsables associatifs entendent par là. Camille Cabral explique que les trans. «ne donnent pas un diagnostic mais explique qu'ils sont propriétaires de leur conviction.»
Yann Laingui change de sujet et évoque les difficultés pour l'obtention du formulaire E112, il souligne aussi le manque de formation des médecins. J'interviens en douceur pour exprimer mon désaccord, je prends exemple sur la carrière d'un chirurgien belge connu de tous. Mon explication est simple, tout médecin intéressé par le sujet à les moyens de se documenter, prendre contact avec ceux qui ont l'expérience en la matière et les chirurgiens d'aller se former auprès de leurs confrères reconnus. Donc il s'agit surtout d'une question de volonté et d'intérêt pour le sujet.
Commentaire: Dire qu'il faut former les médecins c'est une erreur fondamentale dans l'approche, car cela revient à dire qu'il faut des spécialistes en endocrinologie, en psychiatrie et en chirurgie. Quand vous demandez le libre choix de vos intervenants, que vous hurlez que n'importe quel médecin peut s'occuper de la question, il y a là contradiction. C'est pourquoi le CARITIG a fait une proposition d'évaluation des médecins et plus particulièrement des chirurgiens. Nous vous invitons à relire nos propositions publiées dans le TGA de septembre 2004.
Puis Yann Laingui souligne les très importantes difficultés et pressions que subissent les trans handicapés qui sont encore plus à la merci de certains praticiens.
Ressurgit la question de la sécurité et des protocoles. Une description des différents protocoles en usage en France est faite par les représentants associatifs. Les critères aberrants sont listés: la question de l'âge, de la profession (rejet des personnes prostituées), de l'apparence, de l'orientation sexuelle, etc.
Camille Cabral demande que l'administration modifie le numéro de sécurité sociale, Morgane Bichard-Bréaud explique que c'est la souffrance qui motive les trans, les psys doivent faire une évaluation et non un diagnostic.
Puis Alexandra Augst-Merelle de STS précise qu'il manque une compréhension du genre: «Cela n'a rien à voir avec le physique, c'est dans notre tête. C'est du cas par cas, pas de protocole sévère.»
A sa suite, Tom Reucher signale qu'un chirurgien peut voir au premier rendez-vous si la personne est apte. Il évoque l'IVG, la libre disposition de son corps, puis les contrevérités de la théorie de John Money en matière d'intersexualité.
J'abonde dans le même sens et pointe l'aberration du système: d'un côté, on opère des nourrissons sans attendre le fait qu'ils puissent donner leur avis, et l'on constate que certains d'entre eux à l'âge adulte demandent à être opérés dans le sens opposé de l'intervention effectuée à leur naissance. Finalement, on crée artificiellement de la transsexualité, il s'agit là évidemment de personnes intersexuelles. De l'autre côté, on rechigne à opérer des personnes qui le demandent afin qu'elles se sentent plus en harmonie avec elles-mêmes!
Camille Cabral, très remontée, s'insurge sans écouter en disant que l'intersexualité n'a rien à voir avec la transsexualité: «l'intersexualité c'est biologique, la transsexualité c'est psychologique». Je ne crois pas nécessaire d'épiloguer sur sa prestation.
Hélène Hazera et Valérie Soyer demandent que soient prises en considération les personnes trans séropositives ou ayant une hépatite. Celles-ci sont trop souvent rejetées par les équipes en place.
Yann Laingui, pragmatique, revient sur les bonnes pratiques et sur les déplacements, il présente des cas concrets de dépenses inutiles de prise en charge de personnes en VCL et en même temps de refus de prise en charge à l'étranger pour des opérations de qualité dont le coût est moins élevé qu'en France.
Morgane Bichard-Bréaud nous éclaire sur les coûts opératoires d'une vaginoplastie à Toulouse: environ 37000 euros! Elle signale que certains chirurgiens (mais pas en France) utilisent pour des vaginoplasties des dilatateurs spécifiquement conçus pour les transsexuelles.
L'ANAES demande s'il y a beaucoup d'études publiées par les médecins et si des personnes poursuivent les médecins en justice. Je réponds à sa question en lui signalant que l'équipe d'Amsterdam a publié de nombreuses recherches dont le CARITIG est en possession, qu'il est surprenant de voir les nombreuses publications provenant de divers pays, mais tellement peu de France. Je l'informe également de la quasi impossibilité de poursuites judiciaires quand la personne opérée n'a pas encore son changement d'état civil, car les pressions sont nombreuses avec les expertises médicales et des craintes que l'obtention de l'état civil soit différée.
L'ANAES interroge Alexandra Augst-Merelle de STS sur la situation en Allemagne et Diane Gobeil sur le Québec, Diane est québécoise.
Tom Reucher revient sur les aspects psychologiques en manifestant le souhait que les personnes trans ayant des troubles psychologiques ne soient pas exclues du processus.
La réunion prend fin et l'équipe de l'ANAES rappelle qu'ils ne font que commencer ce travail. Nous faisons un nouveau tour de table cette fois-ci pour exprimer nos sentiments. La majorité des représentants associatifs remercie l'équipe de l'ANAES de les avoir entendus. Et pourtant, ils ne donnent pas de date pour une nouvelle réunion mais tiendront les associations informées. L'ANAES va à présent constituer un groupe avec des médecins s'occupant des transsexuels. Très enjoués, les représentants associatifs s'en vont. Cependant Alexandra Augst-Merelle et moi-même restons un peu sur notre fin. Être entendu, c'est bien, être écouté, c'est mieux, est-ce le cas?
Mais le désespoir ne doit pas nous envahir. Le jeudi 23 septembre, j'avais déjà rencontré l'équipe de l'ANAES. Ce rendez-vous avait été obtenu afin que James Green vienne présenter la HBIGDA, dont il est membre du Conseil d'Administration, et son SOC (Standard of Care) à savoir ses recommandations de bonne pratique.
Ainsi l'équipe de l'ANAES a pu s'informer sur les seuls SOC internationaux.
Après ce long rendez-vous, les membres de l'ANAES avaient évoqué la possibilité de se rendre au prochain congrès de la HBIGDA en avril 2005 en Italie, ce qui pourrait être très constructif.
Armand Hotimsky