Compte rendu de Support Transgenre Strasbourg de la réunion avec l'ANAES du 27/09/2004.

Communiqué de presse sous forme de compte-rendu de la réunion à l'ANAES (http://www.anaes.fr) sur le thème “Prise en charge globale du transsexualisme” du 27 septembre 2004. Ce compte-rendu à été rédigé par Alexandra Augst-Merelle, co-fondatrice de Support Transgenre Strasbourg (STS, http://www.sts67.org) et sa représentante à cette réunion, et reflète le point de vue de Support Transgenre Strasbourg exclusivement.


Présents par leurs représentant(e)s

- Commission Trans' d'Act Up - Paris
- GAT - Paris
- Trans'Act - Montpellier
- CARITIG - Paris
- Cabiria - Lyon
- ASB - Paris
- PASTT - Paris
- STS - Strasbourg
- Autres Regards - Marseille
- Dr. Denis Jean David (chef de ce projet à l'ANAES)
- 2 autres médecins de l'ANAES
- une quatrième personne de l'ANAES, apparemment psychiatre

Climat général

La réunion s'est déroulée de façon très cordiale, très bon accueil de la part de l'ANAES. Tout le monde a pu s'exprimer comme il le souhaitait et les temps de parole ont été bien répartis. Il n'y a eu aucun conflit entre les différentes associations présentes. Tout le monde argumentait dans la même direction et apportait des éléments complémentaires à ceux des autres. Les trois médecins de l'ANAES nous ont semblé très à l'écoute et ont pris beaucoup de notes, particulièrement Denis Jean David, qui dirige le projet. La quatrième représentante de l'ANAES nous semblait, au vu de ses questions, enfermée dans une conception très "classique" et rigide de la transidentité (voir ci-dessous les points abordés pour plus de détails).

Points abordés

Rapide tour de table, état des lieux, puis propositions des différentes associations et discussion assez libre autour des différents thèmes abordés. L'ANAES semble peu informée (mais ouverte) sur la question transgenre, au vu des questions et des notions de base qu'il a fallu préciser. Toutes les revendications énoncées par STS dans son papier de positon envoyé au préalable à l'ANAES (qui avait demandé de tels papiers à tous/-tes les invité(e)s) ont été formulées et justifiées lors de la réunion, soit par STS soit par les autres associations.

Le thème du choix

Le thème du choix a été le leitmotiv de la première heure du débat. La représentante d'Act Up a été la première à parler du libre choix d'entamer une transition. La quatrième personne de l'ANAES a riposté en demandant comment garantir la sécurité des patient(e)s transgenre souffrant(e)s si on les laisse entamer des actes irréversibles (chirurgie, traitement hormonal) sans l'aval d'un professionnel spécialiste de la question. Cette remarque, jugée particulièrement représentative de la rigidité du mode de pensée officiel actuel, a entraîné une série de remarques des différents intervenants:

- On ne choisit pas d'être transgenre. Entamer sa transition n'est pas un choix mais une nécessité (le suicide est la seule alternative).

- Les transgenre qui regrettent la décision d'avoir fait leur transition sont très minoritaires. On tue plus de personnes (suicides, exclusion) en retardant les transitions qu'en faisant confiance aux personnes qui ont la conviction d'être transgenre.

- On ne démarre pas sa transition sur un coup de tête ou pour s'amuser. Un psy peut certes aider à prendre cette décision, mais ce n'est pas à lui de décider à la place du/de la patient(e) du bien-fondé et du moment de sa transition.

Libre choix du praticien

Opposition de la quatrième personne de l'ANAES, pour qui n'importe qui ne peut pas aller se faire opérer n'importe où, de façon sauvage. Il faudrait des équipes de médecins (chirurgiens, entre autres) dont les compétences sont officiellement validées.

Réponse des associations:

- Le terme “équipe” nous dérange, les médecins compétents ne font pas partie des équipes officielles, dont l'incompétence est avérée.

- Les “packages” psy/endocrinologue/chirurgien ne sont pas utiles, car les médecins de différentes spécialités qui prennent en charge un/e transgenre peuvent très bien communiquer en dépit des distances (courriers, e-mails, faxes, téléphone).

- La CPAM et les autorités de l'Etat ne doivent pas avoir le monopole de dire quels médecins sont compétents en matière de transidentité.

- L'information permettant le choix, en connaissance de cause, d'un bon chirurgien (ou médecin) est disponible par le biais des associations transgenre. Une meilleure transparence permettrait de faciliter l'accès des transgenre à ces informations.

- Nécessité de transparence sur les résultats opératoires. Cette transparence existe à l'étranger (communication sur les techniques de chirurgie génitale, photos de résultats de chirurgie génitale consultables, possibilité de rencontrer les chirurgiens avant l'opération), mais pas en France.

Liberté du praticien

Le représentant du CARITIG a fait remarquer à juste titre que la liberté des praticiens est aussi importante que la liberté des patients. Les équipes dites officielles et certains médecins font pression sur d'autres médecins qui décident de prendre en charge des personnes transgenre. Certains médecins cèdent à ces menaces (émanant p.ex. du Conseil de l'Ordre des Médecins ou de la CPAM) et ne prennent alors en charge que quelques transgenre par an par "peur de se faire repérer". Cette pratique est illégale et contraire à la déontologie médicale, mais elle est bien présente en France. Plusieurs exemples ont été cités.

Sortir d'une vision binaire de la transition

Une personne de l'ANAES a commis l'erreur assez révélatrice de parler d'“aller jusqu'au bout de la transition”. Correction immédiate par les associations. La représentante de STS a pris la parole, car elle estimait qu'une digression sur la notion de genre apporterait un éclaircissement:

- Le genre se définit comme l'identité sexuée psychique. Il n'est donc pas lié au physique (p.ex. une trans' MtF au physique plutôt masculin n'est pas moins transgenre qu'une trans' MtF au physique très féminin), et il est une conviction (on ne peut pas le détecter ou le tester, il faut faire confiance à l'intéressé/e). On n'a pas le choix de son genre.

- Une personne transgenre est une personne dont le genre ne s'accorde pas avec son sexe, selon les critères culturels en vigueur dans la société où elle vit.

- La dysphorie du genre est une souffrance qui résulte de ce décalage genre/sexe. L'enjeu d'une transition est de rapprocher le sexe du genre suffisamment pour trouver l'harmonie. L'harmonie trouvée, la souffrance disparaît et la personne vit normalement (la transidentité n'est donc pas une maladie mentale).

- Cette harmonie, ce point d'équilibre, n'est pas la même pour tous/-tes, mais varie selon chaque individu. Certaines personnes vont jusqu'à la chirurgie génitale, d'autres suivent seulement un traitement hormonal, d'autres encore n'ont besoin ni d'hormones ni de chirurgie génitale, mais p.ex. tout simplement de vie publique dans le rôle sexué social qui leur convient.

- L'erreur du protocole actuel est d'imposer une vision trop binaire de la transidentité (en imposant par exemple la chirurgie génitale). La majorité des transgenre ne sont d'ailleurs pas opéré(e)s.

- Il n'existe pas de modèle de transition idéale universelle. Chaque transition doit se faire au cas par cas en coopération médecin/patient(e). Les transgenre ont un droit de regard sur leur traitement et sur sa finalité.

- Le danger d'un protocole trop rigide (par souci de sécurité des médecins) est l'automédication, contre-productive en matière de sécurité des patient(e)s (risque de se rendre malade).

- Il n'existe pas que deux sexes et deux genres. La politique du “jusqu'au bout” n'a donc pas de sens, de même que la chirurgie génitale obligatoire pour le changement d'état civil. Le rôle des médecins est d'accompagner les transgenre dans leur transition, de les aider dans les moyens mis en oeuvre, mais la finalité de la transition (p.ex.: hormones ou pas d'hormones, chirurgie ou pas de chirurgie) doit être une décision personnelle souveraine.

Intersexué(e)s

Le représentant du CARITIG rebondit sur la remarque “il existe plus que deux sexes / deux genres” pour parler de la situation catastrophique des intersexué(e)s (opérations forcées notamment, et dysphorie qui en résulte plus tard, non-respect des Droits de l'Homme), et suggérer vivement à l'ANAES de mettre en place un protocole et des mises en garde concernant la prise en charge des intersexué(e)s.

Formation des médecins

Nombre de médecins sont découragés de se former sur la transidentité, par peur de représailles, et sur pression des équipes et médecins qui gardent actuellement le monopole du suivi des transgenre. De ce fait, trop peu de médecins français sont compétents en matière de transidentité. Cela se ressent particulièrement dans le domaine de la chirurgie génitale, mais aussi dans le domaine des traitements hormonaux.

Remboursement des opérations chirurgicales effectuées à l'étranger

L'ensemble des associations a établi un état des lieux catastrophique de la chirurgie en France, témoignages et photos à l'appui. L'existence de chirurgiens compétents en Europe et dans le monde est un fait et dans l'état actuel des choses, un remboursement des opérations de chirurgie génitale effectuées à l'étranger est la seule solution satisfaisante.

Equipes dites officielles

L'incompétence des équipes officielles a été mise en évidence, exemples à l'appui.

Abus

Plusieurs abus ont été mentionnés:

- Inhumanité des expertises médicales effectuées en vue du changement de l'état civil des transgenre (humiliations, insultes, comportement méprisant des juges et de certains psychiatres). L'examen gynécologique imposé lors de ces expertises à des transgenre MtF (fraîchement opérées ou non) constitue de fait un viol.

- Certains médecins se permettent de sortir de leur domaine de compétence, comme p.ex. des endocrinologues qui se permettent des remarques d'ordre psychiatrique ou des psychiatres qui se permettent de juger de la vie privée de leurs patient(e)s transgenre.

- Le secret médical n'est pas respecté lorsque les médecins/psys transmettent un dossier comprenant les témoignages personnels de leurs patient(e)s à la CPAM en vue d'une demande d'ALD ou de changement d'état civil.

- Certains “mandarins” de la médecine menacent d'autres médecins hors équipe qui prennent en charge des transgenre.

- Abus psychiatriques: on a recensé encore deux cas de traitements par électrochocs sur des personnes transgenre à Paris en début d'année.

Dépsychiatrisation

Il a été précisé unanimement par les associations présentes que la transidentité n'est pas une pathologie mentale. Une personne transgenre ne souffre plus de dysphorie du genre une fois sa transition réalisée et son équilibre trouvé. Les seuls troubles qui subsistent alors ne sont que le résultat de l'exclusion. Le représentant du CARITIG a parlé de 'handicap social'.

Le rôle du psy est uniquement de valider qu'aucun trouble psychiatrique n'est incompatible avec la transition. Attention à ne pas non plus, par un protocole, interdire la transition à toutes les personnes souffrant de pathologies mentales, mais uniquement à celles pour qui la transition est incompatible avec la pathologie en question. L'exemple a été cité d'une personne transgenre souffrant de schizophrénie, à qui la transition (et l'harmonie ainsi retrouvée) a permis d'améliorer et stabiliser son état psychique.

Le représentant du CARITIG a mis le doigt sur une anomalie du protocole actuel, qui prétend d'un côté qu'il faut deux à trois ans de suivi psychiatrique pour établir si une personne est transgenre et démarrer sa transition, alors que d'un autre côté, un psychiatre décrète en quelques minutes de manière expéditive (parfois sur la simple foi de l'apparence physique) si une personne est suffisamment transgenre pour lui permettre le changement de son état civil. Ironie: parfois, il s'agit du même psychiatre...

Toutes les associations se sont accordées à dire que deux ans de suivi psychiatrique avant d'entamer une transition sont une durée trop longue. Cette règle trop rigide fait souffrir beaucoup de transgenre qui la subissent, et en pousse certain(e)s au suicide et d'autres à l'automédication, avec tous les risques que celle-ci comporte. Il serait préférable de travailler au cas par cas, et surtout, de faire confiance aux personnes qui se disent transgenre et de ne se contenter que de vérifier l'absence de maladies mentales incompatibles avec une transition.

Real Life Test

Cette pratique est inacceptable, et ses conséquences sont souvent graves: En demandant à une personne de vivre publiquement p.ex. en femme pendant un an avant de démarrer l'épilation et le traitement hormonal, on expose cette personne à des agressions, la perte de son emploi, et on pousse ainsi des personnes transgenre à l'exclusion et à la prostitution.

VIH

Les complications liées au changement d'état civil des transgenre nuisent à la prévention. Certaines transgenre dont les papiers ne sont pas changés n'osent pas se présenter à des dépistages VIH, de peur de montrer leur identité officielle qui ne correspond pas à leur apparence et à leur ressenti.

La chirurgie génitale est refusée en France aux transgenre séropositifs/-ves. C'est injustifié et discriminatoire. Ces refus ont souvent pour conséquence que les personnes transgenre concerné(e)s vont se faire opérer à l'étranger, ne sont donc pas prises en charge par la Sécurité Sociale française, et ont recours à la prostitution pour financer leur chirurgie génitale (ce qui induit un risque de propagation de la maladie à large échelle).

Prisons

La prise en charge des transgenre en milieu carcéral a été demandée. Ces personnes doivent pouvoir suivre normalement leur traitement hormonal.

Situation à l'étranger

A la demande de l'ANAES, la situation au Québec et en Allemagne a été exposée. Les représentants de STS et du CARITIG ont donné des réponses à ces questions.

Implications juridiques

Concernant les personnes transgenre, il existe une forte imbrication des problèmes de santé, des problèmes sociaux et des problèmes juridiques. Le numéro de Sécurité Sociale d'une personne transgenre doit pouvoir être changé simplement, avec ou sans chirurgie génitale (pour le respect de la vie privée, pour éviter l'exclusion et donc la prostitution et la contamination par VIH). Il a été demandé à l'ANAES de faire pression sur les autorités afin d'obtenir des améliorations au niveau juridique, car tout ceci est lié. Il serait très utile d'obtenir des réunions analogues avec le Ministère des Affaires Sociales et le Ministère de la Justice.

Suites

Collaboration ANAES/Associations

Unanimement, les associations présentes ont fait part à l'ANAES de la nécessité de les faire participer aux processus de décision des institutions de l'Etat, afin de ne plus laisser les professionnels parler en leur nom, mais au contraire de travailler ensemble.

Le représentant du GAT a cité l'exemple des maladies orphelines qui ont poussé les autorités médicales à travailler avec les patients, qui connaissent mieux que quiconque leurs maladies. La problématique transgenre est elle aussi spécifique et demande une implication des transgenre eux-/elles-mêmes.

Toutes les associations espèrent que ce travail entre l'ANAES et les associations se poursuivra par d'autres réunions, que l'élaboration d'un protocole se fera en commun avec nous et que cette réunion n'aura pas été pas un coup d'épée dans l'eau. L'ANAES semble de bonne volonté, mais l'Etat ne lui a visiblement pas accordé beaucoup de moyens pour ce travail collaboratif dans la durée. L'ANAES nous a dit être intéressée de garder le contact avec les différents intervenants durant la construction du projet, mais ne nous a indiqué aucune date ni aucun engagement ferme pour des réunions ultérieures. L'ANAES ne s'est pas engagée non plus sur une validation ou un droit de regard des associations transgenre sur les propositions résultant de leur étude.

Impressions, sentiments

Un point très positif est que toutes les associations présentes à la réunion ont parlé à l'unisson en dénonçant les mêmes choses et en faisant les mêmes propositions.

D'autre part, les responsables de l'ANAES nous ont semblés sincères et objectifs. Nos arguments ont été entendus.

En revanche, nous avons du mal à être optimistes sur la suite du projet. Aucune date ne nous a été indiquée pour d'autres réunions, même si l'ANAES se dit très intéressée par une collaboration dans la durée avec les associations transgenre.

Nous avons l'impression que peu de crédits ont été donnés à l'ANAES pour travailler avec nous, et que malgré la bonne volonté de l'ANAES, ce projet risque d'être finalement de la poudre aux yeux. L'avenir nous le dira.

Notre sentiment est que si on ne force rien, l'ANAES ne travaillera dorénavant qu'avec des entités de l'Etat et que nous n'aurons aucun droit de regard sur le projet final.

Nous (un collectif regroupant toutes les associations transgenre) avons donc tout intérêt à relancer régulièrement l'ANAES, à demander des comptes et à faire des propositions par rapport au travail de l'ANAES. C'est pour cela que Support Transgenre Strasbourg propose la création d'un collectif de travail constitué des groupes/associations présent(e)s à cette réunion.

Une médiatisation de ce travail avec l'ANAES et de nos revendications nous semble par ailleurs souhaitable. C'est pour cela que Support Transgenre Strasbourg a décidé de publier le présent compte-rendu en tant que communiqué de presse officiel.


Strasbourg, le 19 octobre 2004, Alexandra Augst-Merelle et Cornelia Schneider, co-fondatrices de Support Transgenre Strasbourg

 

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